Les mémoires d'un valet de pied

· Library of Alexandria
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Les mémoires sont à la mode. Pourquoi donc n’écrirais-je pas les miens ? Je possède toutes les qualités requises pour réussir dans ce genre de littérature : une haute opinion de mon propre mérite, et une bonne envie de médire du prochain.

Ceci dit, je commence sans autre préambule.

Je me nomme John-Herbert-Sigismond-Fitz-Roy de la Pluche. Ces noms de baptême, dont je m’enorgueillis, me furent donnés en souvenir de plusieurs gentilshommes qui avaient honoré ma mère de leur amitié. Quant à mon nom de famille, je l’ignore. Peut-être suis-je le rejeton ignoré d’une race illustre ; peut-être voyez-vous en moi le fils d’un cocher de bonne maison dont le portrait ornait la chambre à coucher de ma mère. Quoi qu’il en soit, je me console du mystère qui a présidé à ma naissance en songeant que le berceau des plus grands hommes de l’antiquité est entouré d’une obscurité non moins profonde que celle qui couvre le mien. Tout ce que l’on sait de l’état civil du divin Platon, c’est qu’il eut un père. L’histoire ne nous apprend-elle pas aussi qu’Homère est né dans sept villes différentes, fait bizarre qui n’empêche pas certains sceptiques d’affirmer que ce poëte n’a jamais existé ?

Je n’ai donc pas connu l’auteur de mes jours. Quant à ma mère, que je perdis de bonne heure, il ne me reste qu’un souvenir assez confus de la vie étrange que j’ai menée auprès d’elle, vie mélangée de rayons de soleil et de jours de pluie. Tantôt elle portait chapeau à plumes, robe de velours et bottines de satin : tantôt, une toilette fanée et des souliers éculés. Lorsqu’elle ne m’étouffait pas de caresses, elle m’accablait de coups. Un jour, nous déjeunions de perdrix arrosées de vin de Champagne ; le lendemain, notre unique repas se composait de quelques croûtes de pain rassis.

Mais jetons le voile épais de l’oubli sur cette époque bigarrée de mon existence. Un beau matin, ma mère s’avisa de mourir subitement. Je restai pendant près de deux jours dans un coin de sa chambre, osant à peine bouger, effrayé de son immobilité et de son silence, pleurant plutôt de frayeur que de froid ou de faim. J’y serais sans doute encore sans quelques voisines qui eurent pitié du petit orphelin. Permettez-moi de vous dire en passant qu’on trouve souvent plus de cœur chez une seule de ces pauvres filles que chez une douzaine de lords. Cependant, bien que je n’aie aucun reproche à adresser à mes bienfaitrices, certains souvenirs que l’éponge du temps n’a pu effacer des tablettes de ma mémoire, me donnent à croire que ma moralité aurait eu à souffrir si les protectrices de mon enfance eussent été chargées de compléter mon éducation.

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